Adieu Aslan Maskhadov, Notre Héros
Point de vue. Les Tchétchènes ont perdu leur président, un homme qui n’a jamais quitté ne serait-ce qu’un jour la Tchétchénie en guerre. En échange, ils ont gagné un héros, tué pour flatter les ambitions politiques du président Poutine, pour assouvir les plus mauvais instincts de la Russie, sa face sombre.
C’était un homme qui voulait la paix plus que tout, qui était prêt à se rendre sur la base militaire russe de Mozdok pour sauver les enfants de Beslan. Il fut élu sous les auspices du Conseil de l’Europe, de l’OSCE, en présence de très nombreux observateurs internationaux. Son assassinat enterre le faible espoir de paix pour la Tchétchénie martyrisée, mais aussi pour l’ensemble du Caucase du Nord.
Aslan Maskhadov était apparu sur la scène politique à l’époque de l’effondrement de l’Union soviétique, alors que se formait le nouvel Etat tchétchène. Tout comme son premier président, Djohar Doudaev, il était revenu dans sa patrie, abandonnant une brillante carrière pour mettre son expérience au service de son peuple.
En trois ans, le colonel Maskhadov, ancien officier de l’armée soviétique, avait forcé le respect des siens. A la veille de la guerre, en 1994, c’est en qualité de chef d’état-major des forces armées de la République tchétchène d’Itchkérie qu’il s’oppose à l’une des armées les plus puissantes au monde. Bientôt, il affronte, sur le champ de bataille, d’anciens compagnons d’armes, comme Viktor Kazantsev, cette fois dans le camp opposé. Ce n’est pas un hasard si, élu président, il invite à la cérémonie d’intronisation certains de ceux qui le combattaient la veille.
C’était un trait de son caractère : il essayait toujours de convaincre ses ennemis par le verbe, sans jamais offenser qui que ce soit. Bien peu, d’ailleurs, se souviennent aujourd’hui du précédent qu’il avait imposé: les soldats russes faits prisonniers étaient rendus à leurs mères, à condition qu’elles les ramènent chez eux, hors de Tchétchénie. Cela s’était-il jamais vu auparavant ?
Il a démontré ses qualités de commandant militaire lors de la reprise de la capitale, Grozny, en août 1996. Des unités entières de l’armée russe avaient alors été encerclées, et seule la volonté personnelle du général Lebed les avait sauvées de l’anéantissement.
Mais celui-ci savait, de son propre aveu, qu’il allait à la rencontre, non d’un insurgé, mais d’un officier pour qui l’honneur n’était pas un mot vain. Il fit alors preuve de talents de négociateur. Dans la ville de Khassav-Iourt, il parvint à convaincre la délégation russe de signer un accord qui reconnaissait de facto la Tchétchénie comme sujet de droit international.
Aslan avait longtemps refusé de se porter candidat à la présidence de Tchétchénie. Ses amis cherchaient à le convaincre, les hommes politiques et les conseils des anciens des villages le lui demandaient; il n’accepta qu’une fois qu’il eut compris que la guerre n’était pas terminée, qu’au contraire la menace d’affrontements entre Tchétchènes augmentait.
Il gagna ces élections haut la main. Les gens votaient pour lui qui était opposé à la guerre, pensant qu’il obtiendrait la paix et la concorde, y compris avec la Russie. Mais il dut se consacrer aux divergences internes. L’ancienne équipe se trouva divisée.
Il considérait l’accord de paix signé avec la Russie, le 12 mai 1997, à Moscou, comme une victoire de sa politique étrangère. Les parties disaient mettre fin à un affrontement de quatre cents ans entre Tchétchènes et Russes. Le premier attentat qui le visa en tant que président l’affecta, non parce qu’il avait été blessé, mais parce que des Tchétchènes en urent les auteurs. Qu’ils aient agi bassement l’indignait particulièrement.
Aslan Maskhadov comptait sur le soutien des pays européens, fût-il seulement moral. Il en avait besoin comme de l’oxygène. Mais l’Occident ignora ses appels. Tout le monde s’inclina devant Moscou.
Il se réjouissait à chaque entreprise qui rouvrait grâce à ses efforts, dans son pays détruit, à la capitale en cendres, où 90 % de la main-d’œuvre était sans travail. Mais ces efforts étaient réduits à néant par les forces destructives intérieures, cette opposition armée qui lui devait pourtant son salut, car il se refusait à la réduire. Il voyait en elle non des ennemis, mais des concitoyens à qui il convenait simplement d’expliquer ses intentions et les moyens par lesquels il entendait rendre la République prospère.
On le disait trop bon pour être président de Tchétchénie; cependant, peu savaient que son sens du compromis ne résultait pas de la faiblesse mais de choix politiques, qui ont permis d’éviter une guerre intestine entre Tchétchènes.
C’était un père aimant, et s’il ne parlait jamais de ses enfants, de sa fille Fatima et de son fils Anzor, comme l’exigent les traditions tchétchènes, en revanche il parlait avec joie de ses petits-enfants.
Depuis le début de cette guerre, en 1999, il était sincèrement convaincu que le président russe Vladimir Poutine ne comprenait pas la situation, et que des pourparlers suffiraient à régler les questions litigieuses. Il voulait croire son ennemi honnête, capable de vouloir le bien. Il se trompait.
Aujourd’hui, alors que tout signe de deuil est interdit dans son pays martyrisé, la très grande majorité du peuple tchétchène le pleure. Il est devenu pour toujours le symbole de son combat pour la liberté. La lutte continue.
Traduit du russe par Silvia Serrano
Mayrbek Vatchagaev (est l’ancien porte-parole d’Aslan Maskhadov)
15.03.2005/Le Monde
Views: 870
Tweet
Laissez votre réponse!