Idalova et Idalov – Khaidaieva et autres – Khadissov et Tsetchoiev c. Russie
Le cas de la CEDH du Idalova et Idalov – Khaidaieva et autres – Khadissov et Tsetchoiev c. Russie (requête no. 41515/04, 1848/04, 21519/02).
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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
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5.2.2009
Communiqué du Greffier
Trois arrêts de chambre contre la Russie concernant la Tchétchénie
La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui par écrit trois arrêts de chambre concernant la Russie, dont aucun n’est définitif .
Les requérants dans les deux premières affaires alléguaient que leurs proches avaient disparu après avoir été enlevés par des militaires russes et que les autorités internes n’avaient pas mené d’enquête effective au sujet de leurs allégations. Ils invoquaient notamment l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les requérants dans la troisième affaire alléguaient que des agents du ministère de l’Intérieur et des militaires russes les avaient torturés pour leur faire avouer qu’ils appartenaient à des groupes paramilitaires. Ils invoquaient notamment l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention.
Les arrêts, qui peuvent être consultés sur le site web de la Cour (http://www.echr.coe.int), n’existent qu’en anglais.
1. Idalova et Idalov c. Russie (requête n 41515/04)
2. Khaïdaïeva et autres c. Russie (no 1848/04)
Dans les deux affaires, la Cour constate notamment :
– des violations de l’article 2 (droit à la vie et absence d’enquête effective) ;
– une violation de l’article 3 (traitements inhumains envers les requérants) ;
– une violation de l’article 5 (détention non reconnue) ;
– une violation de l’article 13 (absence de recours effectif) combiné avec l’article 2.
Les requérants de la première affaire sont deux ressortissants russes résidant à Akhkinchou-Borzoy (République tchétchène). Ils sont le père et la mère de Marvan Idalov, né en 1985. Ils ne l’ont pas revu depuis l’aube du 22 novembre 2002, date à laquelle il fut enlevé au domicile familial par un groupe d’hommes armés portant des treillis de camouflage et circulant à bord de véhicules militaires.
Les requérants de la deuxième affaire sont huit ressortissants russes résidant à Douba-Yourt (République tchétchène). Ils sont les proches parents de Soulimane Malikov, Adlan Khatouïev, Aslan Khatouïev, Saïd-Salou Akhmatov et Mansour Ismaïlov, nés respectivement en 1975, 1977, 1983, 1975 et 1984. On n’a pas revu les cinq hommes depuis le 9 juin 2002, date à laquelle ils auraient été arrêtés à un poste de contrôle par les forces russes lors d’une opération de sécurité à Douba-Yourt.
Informations complémentaires sur les conclusions de la Cour dans ces affaires
Dans l’affaire Idalova et Idalov, la Cour estime peu probable que, comme le laisse entendre le Gouvernement, des insurgés circulant à bord de véhicules militaires volés aient pu à l’époque se déplacer librement, franchir des postes de contrôle et enlever le fils des requérants au domicile familial. Le fait qu’un important groupe de soldats armés et en uniforme soit arrivé à l’aube au village des requérants corrobore solidement l’affirmation des requérants selon laquelle leur fils a été enlevé par des militaires russes. La Cour juge dès lors que les éléments dont elle dispose permettent d’établir au-delà de tout doute raisonnable que Marvan Idalov doit être présumé mort après avoir fait l’objet d’une arrestation non reconnue par des militaires russes lors d’une opération de sécurité.
Dans l’affaire Khaïdaïeva et autres, la Cour observe qu’il n’est pas contesté que les proches des requérants ont été arrêtés le 9 juin 2002 par des militaires russes lors d’une opération de sécurité menée à Douba-Yourt. En l’absence d’éléments tels qu’un registre pénitentiaire pour corroborer l’affirmation du Gouvernement selon laquelle les cinq hommes ont été remis en liberté le 10 juin 2002, la Cour juge établi que ceux-ci sont restés aux mains des autorités après cette date. De plus, le Gouvernement n’a pas fourni d’explication quant à la disparition des intéressés ; en effet, pendant les deux années consécutives à l’arrestation des cinq hommes les autorités ont constamment nié jusqu’à l’arrestation elle-même. Dès lors, la Cour constate que les éléments dont elle dispose permettent d’établir au-delà de tout doute raisonnable que les proches des requérants ont été arrêtés par des militaires russes et qu’ils doivent être présumés morts à la suite de leur détention non reconnue.
Relevant dans les deux affaires que le gouvernement russe n’a pas justifié le recours de ses agents à la force meurtrière, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 2 concernant l’ensemble des proches des requérants.
La Cour dit par ailleurs qu’il y a eu violation de l’article 2 à raison du manquement des autorités à mener une enquête pénale effective sur les circonstances dans lesquelles les proches parents des requérants ont disparu.
La Cour estime en outre que les requérants ont subi et continuent de subir une situation de détresse et d’angoisse du fait de la disparition de leurs proches et de leur incapacité à découvrir ce qu’il est advenu d’eux. Elle juge aussi que l’accueil réservé par les autorités aux plaintes des intéressés doit être considéré comme un traitement inhumain contraire à l’article 3.
Enfin, la Cour relève notamment que, dans les deux affaires, les proches des requérants ont fait l’objet d’une détention non reconnue et n’ont pu bénéficier d’aucune des garanties prévues à l’article 5, ce qui constitue une violation particulièrement grave du droit à la liberté et à la sûreté consacré par cet article.
La Cour octroie aux parents de Marvan Idalov, conjointement, 35 000 euros (EUR) pour dommage moral et 3 650 EUR pour frais et dépens.
Elle alloue aux parents d’Adlan Khatouïev, conjointement, 6 000 EUR pour dommage matériel. Pour dommage moral, elle octroie, conjointement, 35 000 EUR aux parents de Soulimane Malikov, 70 000 EUR aux parents d’Adlan et Aslan Khatouïev, 35 000 EUR à la mère et à la sœur de Saïd-Salou Akhmatov et 35 000 EUR à la mère et à la sœur de Mansour Ismaïlov. Par ailleurs, la Cour octroie aux requérants 6 000 EUR pour frais et dépens.
3. Khadissov et Tsetchoïev c. Russie (no 21519/02).
La Cour constate notamment :
– des violations de l’article 3 (interdiction de la torture et absence d’enquête effective) ;
– une violation de l’article 5 (détention non reconnue) ;
– une violation de l’article 13 (absence de recours effectif) combiné avec l’article 3 ;
– la non-violation de l’article 34 (droit de recours individuel) ;
– une violation de l’article 38 § 1 a) (refus de soumettre des documents demandés par la Cour).
Les requérants, Salambek Khadissov et Islam Tsechoïev, sont des ressortissants russes nés respectivement en 1956 et en 1977 et résidant en Ingouchie (Russie).
Le 9 septembre 2001, alors qu’ils coupaient de l’herbe pour leurs bêtes dans les prés des environs, M. Khadissov et d’autres habitants du village de Verkhny Alkoun (Russie), près de la frontière avec la République tchétchène, essuyèrent des coups de feu. Selon les requérants, ces coups de feu avaient été tirés par des troupes russes stationnées non loin de là, bien qu’elles aient été averties que les villageois travailleraient à cet endroit ce jour-là.
Le 23 septembre 2001, il fut demandé à M. Khadissov et à M. Tsechoïev de se présenter à la direction de l’intérieur du district de Sounjen, M. Khadissov devant expliquer ce qui s’était passé et M. Tsechoïev étant soupçonné d’avoir participé le même jour à une attaque contre des soldats russes en poste près du village. Les requérants auraient alors été transférés le 24 septembre à la base militaire de Khankala, où on les aurait torturés pour leur faire avouer qu’ils appartenaient à des groupes paramilitaires. Ils auraient notamment été détenus dans une fosse, auraient reçu des coups de pied et des coups de crosse, en particulier sur la plante des pieds, et auraient été brûlés avec des cigarettes. Par ailleurs, les militaires leur auraient mis une arme à feu sur la tempe et auraient menacé de les exécuter. Ils furent ensuite transférés au service de lutte contre le crime organisé, dans le district de Staropromyslovski, à Grozny, où ils furent également frappés à coups de pied et menacés d’être torturés.
Ils furent libérés le 12 octobre 2001. Ils étaient apparemment bouffis et couverts d’ecchymoses, la peau de leurs pieds pelait et ils pouvaient à peine marcher. M. Tsechoïev a soumis deux certificats médicaux attestant qu’à la suite des mauvais traitements subis il avait été hospitalisé deux fois pour une blessure au dos, une commotion, une baisse de l’acuité visuelle, des vertiges et des convulsions. M. Khadissov a déclaré qu’après sa remise en liberté les médecins avaient diagnostiqué chez lui une pneumonie, trois côtes cassées, des brûlures de cigarette et une paralysie partielle de la main gauche. Son épouse a confirmé ses dires, de même qu’un examen médical consécutif, effectué en juillet 2005, qui a permis de relever l’existence de traces de cicatrisation.
Informations complémentaires sur les conclusions de la Cour dans cette affaire
La Cour constate que les requérants ont présenté un récit cohérent, corroboré par des éléments pertinents, quant aux mauvais traitements subis. Eu égard à l’absence de toute autre explication plausible quant à l’origine des blessures des requérants, la Cour admet que ceux-ci ont subi les sévices allégués. Les actes dénoncés étaient de nature à créer des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement la résistance physique et morale des requérants. On les a volontairement maintenus dans cet état de souffrance et d’anxiété pour leur extorquer des aveux. Dans ces conditions, la Cour conclut que, pris globalement et compte tenu de leur objet et de leur gravité, les mauvais traitements infligés aux requérants s’analysent en des actes de torture et sont contraires à l’article 3.
La Cour relève que, même après sept années d’enquête et de confirmation officielle du fait que les requérants ont été remis aux militaires de Khankala le 24 septembre 2001, les organes d’enquête n’ont pas établi l’endroit précis où les intéressés se sont trouvés par la suite et ne se sont pas penchés sur les allégations de mauvais traitements formulées par eux. En conséquence, la Cour juge que les autorités ont failli à l’obligation de mener une enquête effective au sujet des allégations des requérants, et qu’il y a eu, pour cette raison également, violation de l’article 3.
Enfin, la Cour note qu’il n’existe aucune trace officielle de la période de détention effectuée par les requérants entre le 23 septembre et le 12 octobre 2001, cette information n’étant consignée dans aucun registre de détention. Dès lors, elle estime que les intéressés ont fait l’objet d’une détention non reconnue et n’ont bénéficié d’aucune des garanties prévues à l’article 5. Partant, il y a eu violation de l’article 5 concernant les deux requérants.
La Cour alloue à chacun des requérants 35 000 EUR pour dommage moral, ainsi que 9 008,20 EUR, conjointement, pour frais et dépens.
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