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Makhashevy c. Russie

Ajouté par on Tuesday, 31 July 2012.    344 views Aucun commentaire
Makhashevy c. Russie

Le cas de la CEDH du Makhashevy et autres c. Russie (requête no.20546/07).

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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

CEDH 320 (2012)
31.07.2012

Communiqué du Greffier
Trois frères brutalisés par la police en Kabardino-Balkarie

Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Makhashevy c. Russie (requête no 20546/07), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :

deux chefs de violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention.

L’affaire concerne les griefs de trois frères d’origine tchétchène selon lesquels ils ont été torturés en raison de leur origine ethnique et l’enquête sur leurs allégations de mauvais traitements et de discrimination a été insuffisante.

La Cour conclut que les requérants ont été détenus et torturés en raison de leur origine ethnique et que les autorités n’ont pas mené une enquête adéquate sur leurs griefs à ce sujet.

Principaux faits

Les requérants, Ibragim Makhashev, Adam Makhashev et Islam Makhashev (décédé), sont des ressortissants russes nés respectivement en 1972, 1974 et 1979. Ils sont frères. Les deux premiers requérants résident à Naltchik (Russie). D’origine tchétchène, ils quittèrent Grozny en octobre 1996 pour s’installer à Naltchik après que leur maison eut été détruite pendant les hostilités.

Les deux premiers requérants allèguent que, le 14 novembre 2004, des policiers les ont frappés et battus au poste de police où ils furent illégalement détenus pendant quelques heures après qu’on eut signalé qu’ils avaient participé à une bagarre dans une boîte de nuit plus tôt dans la soirée. Les policiers les insultèrent constamment parce qu’ils étaient d’origine tchétchène, leur crièrent des remarques racistes et leur dirent que s’ils se plaignaient de ces mauvais traitements, ils seraient tués et que nul ne serait puni pour cela.

Le troisième requérant alléguait avoir été lui aussi battu lorsqu’il s’était rendu au poste dans la soirée pour demander des nouvelles de ses frères. Des policiers lui avaient donné des coups de crosse, l’avaient frappé et l’avaient traîné par les cheveux. Ils l’avaient également insulté et lui avaient dit que tous les Tchétchènes étaient des animaux qui n’avaient pas leur place en dehors de la Tchétchénie, et qu’il ne fallait même pas qu’il songe à se plaindre étant donné que justice ne lui serait pas rendue.

Après leur libération, les trois frères se plaignirent immédiatement au parquet des mauvais traitements subis. Ils furent soumis à plusieurs examens médicaux et des rapports furent établis qui faisaient état de nombreuses blessures et ecchymoses sur le corps et à la tête des trois requérants.

Le 25 novembre 2004, le procureur de la ville ouvrit une enquête sur les événements. En février 2005, les requérants se plaignirent au procureur général du manque d’effectivité de l’enquête. Après l’interrogatoire des policiers qui étaient de service au poste dans la soirée du 14 novembre 2004, l’enquête fut suspendue en juin 2005 faute d’identification des auteurs des faits. Après la réouverture de l’enquête et l’interrogatoire de nouveaux témoins, les autorités décidèrent de ne pas poursuivre les policiers, considérant que les requérants avaient été molestés durant la bagarre dans la boîte de nuit. Les requérants dénoncèrent à deux reprises la décision d’abandonner les poursuites contre les policiers, en vain. Les autorités accusèrent un individu d’avoir blessé Ibragim Makhashev dans la boîte de nuit. Quant à l’enquête destinée à déterminer l’auteur des coups portés contre Adam et Islam Makhashevy, elle n’est toujours pas terminée.

Le gouvernement russe conteste le récit des requérants et nie qu’ils aient été battus ou maltraités d’une quelconque autre manière par la police.

Les trois frères se plaignirent quatre fois auprès des juridictions locales que l’enquête était insuffisante et qu’un certain nombre de mesures n’avaient pas été prises, sans succès. Adam Makhashev fut condamné à une amende dans le cadre d’une autre procédure pénale dirigée contre lui, ayant été jugé violent envers un policier le soir de la bagarre.

Griefs, procédure et composition de la Cour

Invoquant les articles 3 et 14, les requérants se plaignaient d’avoir été violemment battus en raison de leur origine ethnique et que l’enquête menée sur leurs allégations de mauvais traitements et de discrimination avait été insuffisante.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 30 avril 2007.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Nina Vajić (Croatie), présidente,
Anatoly Kovler (Russie),
Peer Lorenzen (Danemark),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Mirjana Lazarova Trajkovska (« l’ex-République yougoslave de Macédoine »),
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Erik Møse (Norvège),
ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.

Décision de la Cour

Article 3

Enquête sur les mauvais traitements

La Cour observe que, après leur sortie du poste de police, les requérants se sont plaints immédiatement au procureur. Une enquête pénale a été ouverte peu après, mais pendant presque trois mois, les enquêteurs n’ont interrogé aucun témoin oculaire ni cherché à organiser une parade d’identification ou une confrontation entre les requérants et les policiers. Quelques mois plus tard, l’enquête a été suspendue alors que les mesures nécessaires n’avaient pas été prises.

Les allégations cohérentes des requérants selon lesquelles ils avaient subi des mauvais traitements aux mains de la police ainsi que les éléments de preuve pertinents ne furent pas examinés. Bien au contraire, les enquêteurs semblent avoir procédé de manière sélective en écartant les plaintes des requérants et en basant leurs conclusions exclusivement sur les déclarations des policiers impliqués dans les événements.

En outre, alors que les requérants avaient allégué à maintes reprises que les policiers les avaient maltraités à cause de leur origine tchétchène, les autorités n’ont pas examiné les éventuels aspects racistes de l’incident et ont en réalité totalement ignoré leurs griefs.

Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 combiné avec l’article 14 au motif que les autorités n’ont pas enquêté de manière effective sur les griefs de mauvais traitements soumis par les requérants.

Les mauvais traitements

A son arrivée au poste de police, le troisième requérant était en bonne santé et ne présentait aucune trace visible de blessure. Quant aux deux premiers requérants, aucun d’eux n’avait subi de contrôle médical avant d’y arriver. A leur libération, toutefois, les trois frères avaient de nombreuses blessures et ecchymoses, constatées par des médecins. En l’absence d’explication convaincante et plausible des événements de la part du Gouvernement, et sachant que les frères ont présenté une description des faits cohérente et détaillée, confirmée par des déclarations de témoins et des rapports médicaux, la Cour conclut que les trois requérants ont été blessés par des policiers. Tous trois ont subi de graves blessures corporelles, combinées avec des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité. Dès lors, la Cour conclut qu’ils ont été torturés.

Par ailleurs, leur allégation selon laquelle ils ont été maltraités en raison de leur origine tchétchène est corroborée par des témoins et documents, ce que le Gouvernement n’a pas contesté. La Cour observe que, après la bagarre à la boîte de nuit, les policiers n’ont emmené que les trois frères au poste alors que de nombreux autres individus y avaient pris part. Aucune explication n’a été donnée à ce sujet ni pour indiquer pourquoi il a fallu faire usage de la force à leur encontre. Dans ces conditions, et compte tenu des éléments de preuve indiquant que les frères ont essuyé des insultes raciales pendant qu’ils étaient maltraités et de l’absence d’explication de la part du Gouvernement, la Cour conclut que leur arrestation et les mauvais traitements qu’ils ont subis étaient dus à leur origine ethnique.

Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 combiné avec l’article 14.

Autres articles

La Cour juge que le grief tiré de l’article 5 est tardif et qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés de l’article 13.

Satisfaction équitable (article 41)

La Cour dit que la Russie doit verser 180 euros (EUR) au premier requérant pour dommage matériel et 52 500 EUR à chacun des deux premiers requérants pour dommage moral.

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