Kissa Gatsaeva et Martine Scolan : Un duo pour la poésie tchétchène
Kissa: Depuis mon arrivée en France, vu qu’ici notre littérature et nos auteurs sont peu connus, j’ai eu envie de les faire connaître. Mais il me manquait la maitrise de la langue. Petit à petit, au fur et à mesure de l’apprentissage, je me suis mise aux traductions mot à mot. Mais il fallait les corriger et les mettre en bonne forme.
Je suis reconnaissante à tous ceux qui au fil du temps ont adhéré à mes projets et m’ont aidé à les réaliser. C’est grâce à Françoise Guérin, linguiste, Maître de conférences à l’Université Paris-Sorbonne, que j’ai pu achever mon travail sur la traduction de la nouvelle écrite par mon père, Gatsaev Said-Akhmed, sur Abrek Zelimkhan et sur la traduction d’autres documents liés à ce thème.
Je lui témoigne toute ma reconnaissance, pour ses encouragements dès le début, pour ses conseils lors de notre travail, et pour ses offres de collaboration.
Je tiens également à remercier Gaël de Fournas, jeune réalisateur promu de l’ESAV de Toulouse, école supérieure de l’audiovisuel, qui a soutenu mon idée de sous titrage de l’interview d’Apti Bisultanov avec Alla Doudaeva. Il a consacré pas mal de son précieux temps à la réalisation de ce projet.
Depuis quelque temps je travaille de temps en temps avec Martine Scolan, à qui je suis reconnaissante pour sa disponibilité et sa générosité d’âme de vouloir m’aider à faire connaitre la poésie tchétchène. J’apprécie son goût de la poésie et son sens des mots, bien qu’elle ne travaille pas dans un domaine littéraire.
Encore une fois un immense merci à tous ceux qui n’ont pas cessé de partager mon envie de faire connaître notre histoire, notre littérature, notre culture.
Nous avons trouvé intéressant le seul site internet trilingues (dont le Français), Waynakh Online, consacré à la Tchétchénie. J’ai décidé d’y mettre les traductions à mon nom. Mais il est plus juste de raconter la façon dont j’ai travaillé sur ces traductions et comment elles sont retravaillées par mes enfants ou par mes amis français.
Sur notre façon de collaborer, je crois que Martine Scolan pourra en parler elle-même.
Donc je vous propose sa vision de notre collaboration.
Et si Martine et moi avons décidé de raconter la façon dont nous travaillons sur ces traductions ce n’est pas seulement pour parler de nous deux… Nous souhaitons ainsi encourager d’autres personnes et particulièrement la jeune génération tchétchène à se mettre aux traductions pour faire vivre la littérature et l’histoire tchétchène dans les pays francophones.
Martine : Solidarité Caucase, c’est le nom de l’association franco-tchétchène, dans laquelle œuvrait Kissa, lorsque je proposai mon aide aux cours de Français pour adultes. Mes cours n’ont pas marché, mais Kissa et moi nous sommes rencontrées. Au fil des réunions et fête commémoratives, nos regards se sont accrochés.
Un jour, elle me demande si je peux l’aider à mettre en bon Français une traduction d’une interview du poète tchétchène Apti Bisultanov, à laquelle elle travaille depuis quelques temps.
Je dis oui, sans hésiter, ravie. Et l’aventure commence.
Je transforme ses phrases un peu bancales parfois, et comme elle n’y retrouve pas ce qu’elle a entendu de la bouche du poète, on reprend tout depuis le début en réécoutant l’interview sur Internet. Kissa tend l’oreille, repasse deux, trois, cinq fois le même extrait et moi je la regarde écouter.
Il faut dire que je ne parle pas un mot de Tchétchène. Nos traductions se font « à quatre mains », comme pour certains concertos pour piano. Alors, elle me dit « Là, ça ne va pas ».
Et pour que je comprenne, elle part dans de longues explications qui ne m’en disent pas toujours assez. Je l’assomme de questions jusqu’à ce que je comprenne vraiment le sens des propos du poète et le ton de l’interview. Nous restons souvent insatisfaites d’un mot ou d’une phrase. Elle, parce que ce n’est pas tout à fait la bonne traduction, moi- parce que si c’est enfin la bonne traduction pour Kissa, la sonorité que cela rend en Français ne me plaît pas. Ca ne coule pas assez… Alors on laisse reposer, une minute, le temps d’une tasse de thé, une demi-heure, ou une semaine…
Au milieu de l’interview, à la demande de la journaliste Alla Doudaeva, Apti bosultanov récite l’un de ses poèmes: « Deg1asta ». D’un même élan, Kissa et moi déclarons qu’il serait trop prétentieux de vouloir traduire ce passage. Nous avons déjà tellement peur de trahir le poète en traduisant ses propos ! Nous traduisons les deux premiers vers, que l’on fait suivre de points de suspension, avant de poursuivre la traduction de l’entrevue.
Et puis Gaël arrive. Ce jeune étudiant en audiovisuel nous bouscule un peu. Nous n’avons pas fini la traduction et lui veut avancer…Et puis pourquoi ne pas traduire le poème ? Encouragées par son enthousiasme communicatif, nous mettons nos craintes et scrupules en veilleuse pour traduire « Deg1asta ». Au début, la méthode est la même que pour l’interview. Kissa traduit mot à mot. Puis je commence à reprendre son texte pour qu’il coule mieux. Le résultat ne plaît pas toujours à Kissa. Ce mot- là ne convient pas… Je lui en propose d’autres, jusqu’à ce que cela corresponde au sens qu’elle a capté dans le poème.
Nous rions souvent en constatant que Kissa (qui parle très bien Français) ne trouve pas le mot qu’elle cherche et pourtant sait le reconnaître lorsque je le lui propose.
Notre travail m’amène parfois à lui expliquer quel sens caché, quelle connotation historique ou culturelle peut comporter un mot français qu’elle a choisi et que je rejette, pour éviter que le texte puisse évoquer, pour un Français, une idée très différente de celle exprimée par le poète dans le contexte tchétchène.
Lorsque nous sommes à peu près satisfaites de notre traduction en Français correct, on la repasse à la moulinette pour que le ton approche de celui de l’original, et pour que la tournure soit aussi poétique que possible. Parfois, nous tentons même la rime !
Une quête sans fin puisque toute notre bonne volonté ne peut nous éviter de trahir le poète…
Comme il faut bien s’arrêter, on finit par admettre que la dernière version est adoptable.
Et puis quelques mois plus tard, un mot de Kissa : « Il faut qu’on revoie cette strophe… ce n’est pas tout à fait cela, tu comprends ? » Bien sûr que je comprends, c’est pour cela que notre tandem fonctionne !
Après « Deg1asta», nous avons traduit d’autres poèmes d’Apti Bisultanov, puis un poème d’Albert Batoukaev « Disparus sans laisser de trace ».
On ne se lasse pas de ce travail, de ce combat amoureux avec les mots, de cet enrichissement culturel réciproque…
Kissa Gatsaeva
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