Ilias Akhmadov : “Nous ne capitulerons jamais”
Ilias Akhmadov, ministre des Affaires étrangères de la République tchétchène d’Itchkérie a donné une interview aux journalistes Laure Mandeville et Isabelle Lasserre.
LE FIGARO: La guerre dure depuis deux ans et demi. Voyez-vous une chance d’arrêter le conflit ?
Ilias AKHMADOV: Je ne vois aucune raison pour que les combats s’arrêtent. Les forces russes sont censées contrôler l’ensemble du territoire, mais la guerre est partout, même dans les territoires du nord soit disant favorables à la Russie. Selon nos estimations, il y a environ 25 escarmouches sérieuses chaque semaine et autant de morts côté russe. N’importe quel autre pays que la Russie estimerait qu’il s’agit de pertes catastrophiques, mais les Russes n’ont jamais fait grand cas de la vie humaine. Loin d’en tirer les conséquences, les militaires tentent de masquer leurs insuccès en reportant leurs efforts sur la population civile, devenue la victime de nettoyages quotidiens. Il n’y a pas l’ombre d’un plan militaire. Il s’agit juste de détruire physiquement l’adversaire. Mais notre but est de démontrer que les Russes ne régleront jamais ce problème par la manière forte. Les Tchétchènes ne rendront jamais les armes.
LE FIGARO: Au mois de décembre, on a eu l’impression d’une ouverture, quand l’envoyé spécial du président Maskhadov a rencontré le représentant du Kremlin Victor Kazantsev. Puis plus rien…
Ilias AKHMADOV: Pour moi, ce qui s’est passé tient en une phrase : le général Kazantsev a demandé aux Tchétchènes de capituler. Et Zakaïev a refusé. C’est tout.
LE FIGARO: Tout le monde parle des Tchétchènes d’Al Qaida. Existent-ils ?
Ilias AKHMADOV: Penser que les membres d’Al Qaida sont venus se réfugier dans les gorges de Pankissi pour rejoindre la Tchétchénie, tient de l’absurdité ! Ils ont un territoire afghan immense, où ils peuvent se cacher sans problème, pourquoi iraient-ils passer des frontières infranchissables pour rejoindre un territoire, où la mort tient lieu d’industrie ? De même, quel intérêt auraient les Tchétchènes à aller se battre pour Al Qaida alors que leur patrie est en danger. Qu’il y ait quelques marginaux tchétchènes là-bas, comme il y a des Français, c’est possible. Mais je constate qu’en dépit des communiqués des Américains, de l’Alliance du Nord aux ordres des Russes et de la presse occidentale, on n’a toujours pas trouvé un seul Tchétchène…
LE FIGARO: Y a-t-il encore place pour un compromis entre Russes et Tchétchènes ?
Ilias AKHMADOV: Il n’y a plus le moindre sentiment d’appartenance à un tout commun. Par leur barbarie, les Russes ont anéanti nos racines communes. Je le dis clairement, moi qui suis pourtant un homo soviéticus, moi qui ai étudié en Russie et qui ai servi dans l’armée rouge, il ne peut être question d’un avenir commun.
LE FIGARO: La décomposition de l’armée peut-elle pousser Poutine à arrêter le conflit ?
Ilias AKHMADOV: Cette décomposition de l’armée existe depuis longtemps ! Croyez-vous que les généraux soviétiques qui guerroyaient en Afghanistan étaient moins corrompus. Pas du tout ! Ils vendaient tout, mais cela ne se savait pas. L’armée est à l’image de la société. Les jeunes qui sortent de prison n’ont rien à faire, alors ils acceptent de risquer leur vie en Tchétchénie pour 10 dollars par jour. Ce n’est pas une armée. C’est une meute en armes.
LE FIGARO: Les Tchétchènes pourraient-ils avoir recours à des actes de terrorisme ?
Ilias AKHMADOV: On nous a accusés à tort d’avoir fait exploser des immeubles pleins d’ouvriers innocents à Moscou, alors que c’est totalement contraire à nos méthodes. Aujourd’hui, la direction de la guérilla autour de Maskhadov a le plus grand mal à empêcher les plus radicaux d’agir. Mais la population est au dernier degré du désespoir. Alors demain, tout peut changer.
LE FIGARO: Qu’est-ce qui a changé depuis le 11 septembre ?
Ilias AKHMADOV: Depuis le 11 septembre, c’est comme si l’Occident avait donné une “base juridique” à la Russie pour la guerre. Ayant la légitimité et l’impunité, les militaires font ce qu’ils veulent.
LE FIGARO: Qu’attendez-vous de l’Occident ?
Ilias AKHMADOV: Je n’attends plus rien. Je suis fatigué de voir qu’il y a toujours deux poids, deux mesures. De voir que l’Occident s’indigne quand Sharon parle de liquider physiquement Arafat, mais qu’il se tait quand Poutine ne cesse de répéter qu’il veut liquider notre président Maskhadov. Je suis fatigué de me battre dans les antichambres diplomatiques pour démontrer que je suis un être humain et que je veux appartenir au monde civilisé. Je suis fatigué d’entendre l’Occident parler de la nécessité de ménager les Russes. Les Tchétchènes ne doivent rien attendre de l’Occident mais ils doivent continuer la lutte. Car s’arrêter serait signer l’arrêt de mort de notre peuple.
*Ilias Akhmadov est le ministre des Affaires étrangères de la République tchétchène d’Itchkérie. Ancien combattant de la première guerre de Tchétchénie (1994-96), il s’est consacré depuis le début de la deuxième guerre (septembre 1999) à plaider la cause de son peuple en occident.
25/03/2002 | Le Figaro
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