Zara Mourtazalieva demande l’asile politique en France
Après huit ans passés dans les camps de Mordovie, Zara Mourtazalieva, 29 ans, demande l’asile politique en France. Elle est accueillie en 2012 à la Maison des journalistes de Paris*, qui s’occupe des journalistes persécutés. Elle témoigne des conditions de détention en Russie.
Zara avait 20 ans lorsque sa vie a basculé au coeur de Moscou. À la sortie de son travail dans une compagnie d’assurance, le 3 mars 2004, des policiers en civil l’interpellent pour vérifier son passeport. Au poste, on prend ses empreintes digitales. Laissant son sac, elle se lève et va se laver les mains. Tout chavire au retour.
Accusée de terrorisme
L’homme qui l’interrogeait brandit un petit paquet : «Dans votre sac à main, on a trouvé 186 grammes d’explosif». «Ce n’est pas à moi», proteste-t-elle. Tout de suite, des «témoins» arrivent et l’accusent de préparer un attentat. Zara a beau clamer son innocence, protester contre une si grossière manipulation : elle est incarcérée. Deux heures après, la télévision annonce l’arrestation d’une jeune terroriste tchétchène : Zara !
Quelle ne fût pas la stupéfaction de sa maman, épicière dans un petit village proche de Grozny. Sa fille, une terroriste ! Elle, si courageuse, qui, à la mort de son père est partie travailler à Moscou pour l’aider à subvenir aux besoins de sa famille, quittant l’université des Langues étrangères de Grozny pour étudier par correspondance depuis Moscou. Zara, une terroriste ! Quelle angoisse pour la mère sans nouvelle de sa fille pendant dix longs jours.
Zara était totalement isolée dans la prison des services secrets : «Des gens venaient me voir pour que je reconnaisse ma culpabilité, se souvient-elle. Ils se faisaient passer pour des avocats envoyés par ma famille. Mais ce n’était pas vrai!»
«Dans les prisons, on torture»
Zara est condamnée à huit ans et demi de détention, le 17 mars 2005. Une journaliste et visiteuse de prisons russe, Zoïa Svetova, suit l’affaire au tribunal. Elle découvre que l’accusation est montée de toutes pièces. Pendant huit ans, elle ira lui rendre visite, lui enverra des livres pour l’aider à tenir, plaidera sa cause pour la protéger dans cet univers sans foi ni loi.
Zara se trouve au milieu de prisonnières condamnées pour vols, meurtre… dans la colonie pénitentiaire de Potma, en Mordovie (République de la Fédération de Russie), à 500 kilomètres à l’Est de Moscou. Une relique du goulag stalinien. Brimades et humiliations se succèdent.
«Où que tu sois, on te trouvera»
Le travail est difficile. Les conditions de vie abominables. «Pendant toutes ces années, on venait me voir pour me demander de collaborer. Ils me montraient des photos de terroristes pour que je les identifie. Impossible, je ne connaissais pas ces gens». Zara ne cède pas. «On bat les prisonniers qui ne veulent pas se soumettre. Après l’une de ces visites, je me suis retrouvée à l’hôpital.» Fracture du crâne. Deux semaines avant sa libération, une dernière visite, nouvelle menace : «Où que tu sois, on te trouvera.»
Le 3 septembre 2012, Zara est enfin libérée. Elle travaille pour la presse. Mais la surveillance pèse. Elle n’ose croire qu’elle parviendra à gagner la France. «J’avais peur d’être arrêtée à nouveau sur le chemin de l’aéroport. J’ai couru pour monter dans l’avion, raconte-t-elle. Au décollage, je me suis sentie libre. Et quand j’ai vu qu’on atterrissait à Paris, c’était fantastique. Je n’avais plus à regarder derrière moi pour voir si quelqu’un me surveille.» Le visage de Zara s’illumine. Ses yeux pétillent. Plus sûrement que l’avion, les ailes de la vie et de la liberté la transportent loin des hivers de Mordovie. Loin de la faim qui creuse encore son pâle visage. Loin de la peur, des coups et des humiliations.
Elle demande l’asile diplomatique en France
Mais elle est harcelée par les services secrets russes : «Même à Paris j’ai reçu des SMS. Ils veulent me rencontrer à mon retour.» Zara demande l’asile politique pour témoigner : «On continue de violer les droits de l’homme en Russie. Dans les prisons, on torture, on bat, on discrimine les gens à cause de leur nationalité »
Où donc Zara trouve-t-elle la force de résister ? «La religion m’aide, je crois en Dieu. C’est grâce aussi au soutien de mes amis et à l’éducation que j’ai reçue de mes parents.»
Zara a 29 ans maintenant. Une nouvelle page de sa vie s’ouvre en France, encore une fois loin des siens : «S’adapter à un pays étranger est une petite chose à côté de ce que j’ai vécu. Cela ne me fait pas peur.»
*La Maison des journalistes, où vit actuellement Zara, a hébergé depuis dix ans 250 journalistes en situation d’exil, de 52 nationalités. Dans un immeuble accueillant, prêté par la mairie de Paris, au 35, rue Cauchy, elle dispose de 14 chambres, financées par autant de médias, dont Ouest-France. Elle est un lieu de vie temporaire, d’écoute et de rencontres, pour se reconstruire après la répression politique, physique ou psychologique, y recevoir une aide matérielle et administrative, des cours de français, etc. En ce moment y résident des journalistes exilés de Syrie, Russie, Iran, Turquie, Afrique…
Source: Ouest-France
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