I.K. c. Autriche
Le cas de la CEDH dans les affaires “Alpatu Israilova c. Russie” (requête no. 2964/12).
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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
CEDH 093 (2013)
28.03.2013
Communiqué du Greffier
Le refoulement d’un Tchétchène de l’Autriche vers la Russie l’exposerait à un risque de mauvais traitement
Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour dans l’affaire I.K. c. Autriche (requête no 2964/12), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité :
qu’il y aurait violation de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme si M. K. venait à être refoulé vers la Russie.
L’affaire concernait le grief tiré par un ressortissant russe d’origine tchétchène de ce que son refoulement de l’Autriche vers la Russie l’exposerait à un risque de mauvais traitement, sa famille étant persécutée en Tchétchénie.
La Cour a jugé en particulier que rien ne permettait de dire que, en cas de retour en Russie, M. K. risquait moins d’être persécuté que sa mère, à qui le statut de réfugié avait été accordé en Autriche et dont le récit avait été jugé convaincant par les tribunaux autrichiens. De plus, des rapports récents attestaient l’existence d’une pratique consistant à soumettre à des châtiments collectifs les proches des insurgés allégués et les personnes soupçonnées d’aider ceux-ci.
Principaux faits
Le requérant, I.K., est un ressortissant russe d’origine tchétchène né en 1976 et résidant à Vienne (Autriche). En avril 2004, il quitta la Tchétchénie avec sa mère et, en novembre 2004, ils arrivèrent en Autriche, où ils demandèrent l’asile. Il affirmait que lui et sa famille étaient persécutés en Tchétchénie parce que son père, abattu sous ses yeux, avait travaillé au sein des services de sécurité de l’ancien président Mashkadov, un leader séparatiste. En outre, il déclarait avoir été lui-même arrêté à plusieurs reprises et sauvagement battu par des soldats russes au cours d’une vérification d’identité.
Les demandes d’asile furent rejetées toutes les deux en 2007. En avril 2009, I.K. mit fin au recours qu’il avait formé contre cette décision, prétendant avoir reçu de mauvais conseils juridiques, mais il formula en juin 2009 une nouvelle demande d’asile, qui fut finalement rejetée en juin 2011. Les tribunaux estimèrent qu’il n’avait produit aucun nouvel élément pertinent qui aurait permis de revenir sur la conclusion des autorités à l’issue de la première procédure.
Parallèlement, en mai 2009, l’asile avait été accordé à la mère d’I.K., qui avait maintenu son recours contre le rejet initial de sa demande. Le tribunal du droit d’asile était convaincu, notamment compte tenu des activités de son défunt mari et du décès de celui-ci, que, en cas de retour en Russie, elle aurait été menacée par les autorités de l’État ou par des tiers.
Entre 2005 et 2008, I.K. fut reconnu coupable en Autriche d’un certain nombre d’infractions pénales, notamment de coups et blessures aggravés, et condamné à trois peines de plusieurs mois d’emprisonnement. En mars 2008, il épousa une ressortissante russe en Autriche et le couple eut deux enfants. En 2011, il fut soigné pour dépression.
Un rapport établi par l’hôpital indique qu’il souffrait d’angoisses post-traumatiques et déconseillait son refoulement vers la Russie.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), M. K. soutient que son refoulement vers la Russie l’exposerait à un risque de mauvais traitement et aggraverait son état de santé mental. Invoquant en outre l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), il ajoute qu’un tel renvoi le séparerait de sa femme et de ses enfants, qui habitent en Autriche.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 13 janvier 2012. Le 17 janvier 2012, en vertu de l’article 39 de son règlement, la Cour a prié le gouvernement autrichien, à titre de mesure provisoire, de ne pas refouler M. K. vers la Russie jusqu’à nouvel avis.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre (Monaco), présidente,
Elisabeth Steiner (Autriche),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Erik Møse (Norvège),
Ksenija Turković (Croatie),
Dmitry Dedov (Russie),
ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.
Décision de la Cour
La Cour juge bon d’examiner sur le seul terrain de l’article 3 le grief tiré par M. K. d’un risque de mauvais traitement.
À la date où elles ont connu de la demande d’asile de M. K., les autorités autrichiennes avaient à leur disposition différents rapports relatifs au Nord-Caucase russe, établis par des organes internationaux et d’autres Etats, dans lesquels étaient constatées, partout dans cette région, une détérioration de la situation générale en matière de sécurité en 2009 et de graves violations des droits de l’homme. Ces rapports donnent foi à la thèse constamment défendue par M. K. selon laquelle un retour en Russie l’exposerait à un risque réel de persécution.
M. K. a invoqué les mêmes raisons que sa mère pour expliquer sa fuite. Or, alors que l’asile a été accordé à elle en 2009 après que le tribunal autrichien du droit d’asile eut jugé son récit convaincant, les autorités ont rejeté la deuxième demande d’asile de M. K. et ne se sont pas penchées sur la relation entre cette procédure et celle engagée par sa mère. De plus, dans ses observations devant la Cour, le gouvernement autrichien n’a avancé aucun argument pour justifier la disparité dans l’issue de ces deux procédures.
De ce fait, la Cour n’est pas convaincue que les autorités autrichiennes aient examiné les griefs de M. K. sur tous les points.
Les éléments relatifs à la situation du père de M. K. au sein des services de sécurité et le récit de son assassinat ont été jugés crédibles dans le cadre de la procédure d’asile concernant sa mère. Les autorités nationales étant bien mieux placées pour apprécier les dépositions et preuves matérielles directement produites devant elles, la Cour n’a aucune raison de douter des conclusions du tribunal autrichien du droit d’asile quant à la crédibilité des raisons pour lesquelles la mère de M. K. – et donc M. K. lui-même – ont fui la Tchétchénie. Par ailleurs, M. K. a fourni à la Cour un rapport médical constatant une ancienne blessure à l’os du visage, qui attestait des sévices qu’il disait avoir subis.
Rien dans le dossier ne permet de dire que, en cas de retour en Russie, il risque moins d’être persécuté que sa mère. Enfin, le laps de temps écoulé depuis l’issue de la procédure d’asile de sa mère, en mai 2009, n’est pas suffisamment long pour conduire à une conclusion différente.
La Cour a constaté des violations des articles 2 et 3 de la Convention dans de nombreux arrêts concernant des disparitions et des mauvais traitements en Tchétchénie. Bien que se rapportant à des faits remontant à plusieurs années, ces affaires servent de contexte général à l’aune duquel la Cour peut examiner le cas de M. K. De plus, le tableau brossé dans des rapports récents d’organes internationaux fait toujours état de violations régulières des droits de l’homme commises tant par des groupes rebelles que par les forces de sécurité, d’un climat d’impunité et d’une absence d’enquêtes effectives sur les disparitions et les mauvais traitements. Ces rapports font toujours état aussi de la pratique consistant à soumettre à des représailles et à des châtiments collectifs les proches des insurgés allégués et les personnes soupçonnées d’aider ceux-ci.
La Cour conclut que, s’il venait à retourner en Russie, M. K. y serait exposé à un risque réel et individuel de traitement contraire à l’article 3. Dès lors, il y aurait violation de l’article 3 en cas de refoulement vers ce pays.
En revanche, la Cour estime que l’état de santé mental de M. K. et le risque qu’il se détériore ne justifient pas l’application de l’article 3. En outre, compte tenu de ses conclusions sur le terrain de l’article 3, elle ne juge pas nécessaire d’examiner le grief sous l’angle de l’article 8.
La Cour considère que la mesure indiquée par elle au gouvernement autrichien en vertu de l’article 39 de son règlement, invitant celui-ci à ne pas refouler M. K. vers la Russie, doit demeurer en vigueur jusqu’à ce que l’arrêt devienne définitif ou qu’elle rende une autre décision à cet égard.
Frais et dépens
La Cour dit que l’Autriche doit verser à M. K. 5 031,23 euros (EUR) pour frais et dépens.
L’arrêt n’existe qu’en anglais.
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