«Le totalitarisme tchétchène gagne le pays»
Le régime de Vladimir Poutine accroît sa pression sur les défenseurs des droits humains. Journaliste d’investigation au quotidien indépendant «Novaïa Gazetta», Elena Milashina témoigne lundi soir au Festival et forum international sur les droits humains.
La Russie s’enfonce dans une autocratie qui réprime de plus en plus les défenseurs des droits humains. Avec le vote de lois limitant la liberté d’association, le régime du président Vladimir Poutine met une pression juridique et financière insoutenable sur les ONG recevant des fonds étrangers. Journaliste d’investigation au quotidien indépendant Novaïa Gazetta, Elena Milashina a pris la suite de sa mentor et ancienne collègue Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006. Elle participe ce lundi soir au débat sur les libertés en Russie dans le cadre du Festival et forum international sur les droits humains (FIFDH)*.
– En quoi la récente loi encadrant les ONG russes restreint le travail des défenseurs des droits humains?
Elena Milashina: Il s’agit plutôt d’un faisceau de plusieurs lois votées depuis l’été dernier par la Douma (le parlement russe) qui s’attaque clairement à nos libertés. Et ce, suite aux manifestations populaires de 2011 qui ont été humiliantes pour le régime. Le texte le plus litigieux oblige toutes les ONG qui reçoivent des financements d’un autre pays et ont des activités politiques à se déclarer comme «agent de l’étranger». De nombreuses ONG voient ainsi leur budget limité. Ce texte nous muselle aussi, médias indépendants, car il sanctionne la diffamation. Bien sûr, les contours de cette loi sont très flous. Nous n’avons pas encore d’exemple concret sur la manière dont elle sera appliquée. Même le Ministère de la justice, chargé de sa mise en œuvre, ne sait pas comment l’utiliser.
– Vous enquêtez surtout sur la Tchétchénie. Quelles sont les difficultés rencontrées par la société civile sur place?
Elena Milashina: Nous avons maintenant affaire à un régime complètement totalitaire à Grozny. Sous les ordres du président pro-russe Ramzan Kadyrov, le gouvernement tchétchène contrôle la vie des citoyens dans les moindres détails. Kidnappings, tortures, meurtres… Depuis l’assassinat en 2009 de mon amie Natasha Estemirova et d’autres défenseurs des libertés ou de journalistes, la société civile a été complètement détruite: impossible de travailler là-bas. Plus personne n’ose enquêter de peur d’être tué. La limite la plus importante que je me fixe dans mes articles est de toujours préserver la sécurité de mes sources.
– Vous avez été sauvagement agressée en 2012 à Moscou. Ne craignez-vous pas pour votre vie?
Elena Milashina: Du moment que vous essayez de faire éclore la vérité, personne dans ce pays n’est en sécurité. Et je suis consciente de cela. Cependant, je n’ai pas changé grand-chose à mon quotidien: je rentre toujours chez moi par mon chemin habituel, sans garde du corps ni rottweiller [ndlr: chien de défense]. Le seul moyen de protéger des activistes ou des journalistes comme moi, serait que le gouvernement enquête sur ces agressions et punisse les coupables. Mais d’ordinaire, les ennemis des journalistes sont tous des amis de Poutine. Dans le cas de l’assassinat de Natacha, les enquêteurs et moi-même savons très bien qui sont les vrais commanditaires. Les preuves accusant des terroristes tchétchènes ont été falsifiées, je l’ai prouvé dans plusieurs articles. Mais tant que Kadyrov sera président de la Tchétchénie et Poutine celui de la Russie, je doute que les vrais responsables soient inquiétés.
– Vous dites souvent que la Tchétchénie n’est qu’un avant-goût de ce que sera la Russie de demain.
Elena Milashina: Ce qui se passe là-bas arrive ensuite irrémédiablement chez nous. A commencer par les violations massives des droits humains qui ont débuté en Tchétchénie avec la guerre, puis se sont répandues dans toute la Russie. Surtout la torture pratiquée à grande échelle, qui est maintenant devenue banale dans tous les commissariats russes, pratique «ordinaire» ramenée du front tchétchène par nos soldats et policiers.
– Existe-t-il un mouvement de journalistes indépendants en Russie?
Elena Milashina: Non, je ne crois pas, du moment que notre organisation professionnelle – qui fédère pourtant des milliers de journalistes – n’est pas très active quand le gouvernement essaie de nous censurer. Pour moi, l’espoir vient plutôt des réseaux sociaux comme Twitter. Un nombre grandissant de Russes n’ont plus aucune confiance dans les médias officiels et cherchent les informations sur Internet ou dans certains médias indépendants. Je me rends compte que les gens me croient, parce que je travaille à la Novaïa Gazetta.
* Lundi à 20 heures à Uni-Mail: documentaire «Russian Libertine», suivi du débat «Poutine: un déni de démocratie».
Source: Le Temps Monde
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