Abdulkhanov et autres c. Russie
Les cas de la CEDH dans l’affaire “Abdulkhanov et autres c. Russie” (requête nos. 22782/06).
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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
CEDH 282 (2013)
03.10.2013
Communiqué de presse du Greffier de la Cour
Une frappe militaire sur un village tchétchène en 2000 a enfreint la Convention, comme l’a reconnu le gouvernement russe
Dans son arrêt de chambre, non définitif, rendu ce jour dans l’affaire Abdulkhanov et autres c. Russie (requête no 22782/06), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme, et
violation de l’article 13 (droit à un recours effectif).
L’affaire concerne une frappe de l’armée russe sur un village de Tchétchénie intervenue en février 2000 et qui a tué 18 des proches parents des requérants.
C’est la première fois que, dans une affaire concernant le conflit armé en Tchétchénie, le gouvernement russe reconnaît qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention, tant en raison du recours à la force meurtrière qu’en raison de l’obligation d’enquête pesant sur les autorités.
Principaux faits
Les requérants sont treize ressortissants russes nés entre 1939 et 1982, tous nés ou habitant dans le village d’Aslanbek-Sheripovo, dans le district de Chatoï, en République tchétchène (Russie). Après que la deuxième opération militaire en Tchétchénie eut démarré en 1999, ce village était considéré comme un lieu sûr car les villageois avaient reçu l’assurance de commandants de l’armée russe qu’il
n’y aurait pas de frappes militaires sur le village tant qu’aucun combattant armé n’y serait présent. Ce fut donc la surprise lorsqu’une frappe aérienne et d’artillerie provenant de l’armée russe toucha le village dans l’après-midi du 17 février 2000. Cette frappe tua dix-huit proches des requérants et blessa trois des requérants et plusieurs autres de leurs proches.
La plainte adressée par les requérants aux représentants de la loi demeura longtemps sans réponse et, en mai 2002, le procureur militaire décida de ne pas ouvrir d’enquête pénale sur l’attaque. Cette décision fut par la suite annulée, mais il ne fut pas déclenché d’enquête pénale. D’après les arguments présentés par le gouvernement russe en 2010, l’affaire en est toujours au stade de l’examen préliminaire. Les requérants engagèrent aussi une action civile en réparation du décès de leurs proches et des blessures subies par eux-mêmes. Leurs prétentions furent en fin de compte rejetées en décembre 2005.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Les requérants se plaignent que leur droit et le droit de leurs proches décédés ou blessés ont été violés au regard de l’article 2 (droit à la vie), tant par l’attaque meurtrière que par le manquement des autorités à enquêter aux fins d’établir les circonstances de l’utilisation de la force meurtrière. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) et l’article 13 (droit à un recours effectif), les requérants se plaignent en outre que la procédure judiciaire qui a abouti au rejet de leur action civile en réparation n’était pas équitable.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 15 mai 2006.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre (Monaco), présidente,
Elisabeth Steiner (Autriche),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Erik Møse (Norvège),
Ksenija Turković (Croatie),
Dmitry Dedov (Russie),
ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.
Décision de la Cour
Article 2
Le gouvernement russe soutient que la situation qui régnait en Tchétchénie à l’époque appelait des mesures exceptionnelles afin de reprendre le contrôle de cette République, y compris des mesures d’ordre militaire. Le Gouvernement reconnaît toutefois que, dans l’affaire des requérants, il n’y a pas eu d’examen adéquat de la question de savoir si le recours à la force meurtrière était justifié. Il admet donc qu’il y a eu violation du droit à la vie dans le chef des requérants et de leurs proches, tant en raison du recours à la force meurtrière qu’en raison de l’absence d’enquête appropriée.
La Cour observe que les parties ne contestent nullement que les requérants et leurs proches parents ont été victimes d’un recours à la force meurtrière et qu’aucune enquête de nature à établir les circonstances dans lesquelles ce recours a eu lieu n’a été menée. Ces considérations suffisent pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 2, tant sous son volet matériel que sous son volet procédural.
Articles 6 et 13
La Cour juge que lorsqu’une enquête pénale sur un recours à la force meurtrière a été ineffective, comme cela a été le cas en l’espèce, le caractère effectif de tout autre recours éventuel s’en trouve diminué. Partant, il y a eu violation du droit des requérants à un recours effectif garanti par l’article 13. Dans ces conditions, la Cour juge inutile d’examiner séparément le grief sur le terrain de l’article 6.
Satisfaction équitable (article 41)
La Cour dit que la Russie doit verser à chacun des requérants une somme comprise entre 40 000 euros (EUR) et 210 000 EUR (1 160 000 EUR au total) pour dommage moral, et à douze des requérants une somme comprise entre 300 et 900 EUR chacun (5 400 EUR au total) pour dommage matériel.
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