Itslaiev – Youssoupova et Zaourbekov – Zoulpa Akhmatova et autres c. Russie
Le cas de la CEDH du Itslaiev – Youssoupova et Zaourbekov – Zoulpa Akhmatova et autres c. Russie (requête no. 34631/02, 22057/02, 13569/02 et 13573/02).
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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
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9.10.2008
Communiqué du Greffier
Arrêts de chambre concernant
Itslaïev c. Russie (no 34631/02)
Youssoupova et Zaourbekov c. Russie (no 22057/02)
Zoulpa Akhmatova et autres c. Russie (nos 13569/02 et 13573/02)
Itslaïev c. Russie (no 34631/02)
Le requérant, Dokka Saïdaminovitch Itslaïev, est un ressortissant russe né en 1959 et résidant à Nazran (Russie).
Il se plaignait notamment que la procédure qu’il avait engagée aux fins du paiement de ses arriérés de salaire ait été rejetée pour non-respect des délais. Il invoquait l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable).
La Cour conclut, à l’unanimité, à l’absence de violation de l’article 6 § 1 relativement au droit d’accès du requérant à un tribunal. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Youssoupova et Zaourbekov c. Russie (no 22057/02)
Les requérants sont deux ressortissants russes, Roza Youssoupova et Aïndi Zaourbekov, nés respectivement en 1958 et en 1983 et résidant à Grozny (République tchétchène). Les intéressés sont respectivement l’épouse et le fils d’Abdoulkassim Zaourbekov, né en 1951.
Le 17 octobre 2000, ayant été informé que son contrat de grutier au bureau temporaire du ministère de l’Intérieur du district d’Oktiabr à Grozny ne serait pas renouvelé, il se rendit au bureau temporaire pour y percevoir ses salaires, accompagné de son fils, Aïndi, qui l’attendit à l’extérieur du bâtiment. On ne l’a pas revu depuis. Les requérants alléguaient que les autorités étaient responsables de la disparition de leur parent et que l’enquête à ce sujet avait été insuffisante. Ils invoquaient, notamment, les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 13 (droit à un recours effectif) et 38 § 1 a) (obligation de fournir les facilités nécessaires pour l’examen de l’affaire).
La Cour estime établi qu’Abdoulkassim Zaourbekov est entré dans les locaux du ministère et n’en est jamais ressorti. Les requérants n’ont eu aucune nouvelle digne de foi de leur parent depuis le 17 octobre 2000, et le Gouvernement n’a pas fourni d’explication crédible quant à ce qu’il était advenu de lui après cette date. Dans le contexte du conflit en Tchétchénie, le fait qu’un parent des requérants soit entré dans un bâtiment des services de police et ait disparu pendant des années permet de présumer, même en l’absence de preuves irréfutables de ce qu’il est advenu de lui par la suite, qu’il a été placé en détention non reconnue sous le contrôle de l’Etat. La Cour considère que ces circonstances peuvent être qualifiées de menace à la vie, compte tenu notamment des informations disponibles, qui font état de plusieurs autres cas de disparition à partir des locaux du ministère de l’intérieur du district d’Oktiabr à Grozny en septembre-octobre 2000. Abdoulkassim Zaourbekov a disparu depuis longtemps et doit être présumé décédé à la suite d’une détention non reconnue par les agents de l’Etat. La Cour observe en outre que le gouvernement russe n’a pas fourni d’explications quant au décès du parent des requérants pendant sa détention. Elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 2 relativement à la disparition d’Abdoulkassim Zaourbekov. Elle conclut également que le fait que les autorités n’aient pas mené une enquête adéquate et effective sur les circonstances entourant la disparition d’Abdoulkassim Zaourbekov a constitué une autre violation de l’article 2.
La Cour note qu’elle n’est pas en mesure d’établir avec le degré de certitude requise les causes exactes du décès d’Abdoulkassim Zaourbekov, ni si il a fait l’objet de mauvais traitements en détention. Elle conclut donc à l’absence de violation de l’article 3 relativement aux allégations de mauvais traitements sur sa personne. Elle considère en revanche que les requérants ont subi une situation de détresse et d’angoisse du fait de la disparition de leur parent et de leur incapacité à découvrir ce qu’il était advenu de lui et à obtenir des informations complètes et à jour sur l’enquête. L’accueil réservé à leurs griefs par les autorités doit être considéré comme constitutif d’un traitement inhumain contraire à l’article 3.
Renvoyant à sa conclusion selon laquelle Abdoulkassim Zaourbekov a été victime d’une détention non reconnue, la Cour juge que les faits en question ont constitué une atteinte particulièrement grave à son droit à la liberté et à la sûreté consacré par l’article 5.
La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 13 relativement aux violations alléguées de l’article 2, et à l’absence de violation de l’article 13 relativement à la violation alléguée de l’article 3 à l’égard d’Abdoulkassim Zaourbekov. Aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 relativement à la violation alléguée des articles 3 (souffrance morale des requérants) et 5.
Enfin, la Cour conclut, à l’unanimité, qu’en refusant de lui communiquer les documents demandés, le gouvernement russe a manqué à ses obligations au titre de l’article 38 § 1 a) de la Convention.
Elle octroie aux requérants 8 000 EUR conjointement pour préjudice matériel, ainsi que 25 000 EUR chacun pour préjudice moral et 7 150 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Zoulpa Akhmatova et autres c. Russie (nos 13569/02 et 13573/02)
Les requérants sont six ressortissants russes : Zoulpa Akhmatova, née en 1939, Abaz Debizov, né en 1932 (aujourd’hui décédé), Taous Serbieva, née en 1932, Saret Yasadova, née en 1963, et Charpoudi Bargaïev, né en 1956, tous résidents de Nove Atagi (République tchétchène), et Islam Serbiev, né en 1964 et résidant à Grozny. Mme Akhmatova et M. Debizov sont les parents de Saïd-Magomed Debizov, né en 1967 ; Mme Serbieva et M. Serbiev sont respectivement la mère et le frère d’Iznovr Serbiev, né en 1967 ; et Mme Yasadova et M. Bargaïev sont les parents de Bekkhan Bargaïev, né en 1981. Les familles sont sans nouvelles des trois hommes depuis le 14 janvier 2001.
Les requérants alléguaient que leurs proches avaient disparu après avoir été détenus par les services russes pendant une « opération de nettoyage ». Ils invoquaient, notamment, les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 13 (droit à un recours effectif).
La Cour conclut, à l’unanimité, qu’en refusant de lui communiquer les documents demandés, le Gouvernement a manqué à ses obligations au titre de l’article 38 § 1 a) de la Convention.
La Cour considère que le fait qu’un groupe important d’hommes armés en uniforme équipés de véhicules militaires ait pu, en plein jour, dans une zone urbaine, traverser librement des barrages militaires pour vérifier les papiers d’identité de plusieurs personnes et les arrêter, accrédite fortement l’allégation des requérants selon laquelle ces hommes auraient été des membres des services russes. Elle déduit du fait que le Gouvernement, malgré les demandes qu’elle lui a adressées à cet effet, ne lui a pas communiqué les pièces du dossier de l’enquête pénale qu’il était seul à détenir et ne lui a pas fourni d’autre explication plausible des événements en question, que Saïd-Magomed Debizov, Iznovr Serbiev et Bekkhan Bargaïev ont été arrêtés le 14 janvier 2001 à Nove Atagi par des membres des services russes au cours d’une opération de sécurité non reconnue. Personne n’a eu de nouvelles dignes de foi des intéressés depuis lors, et le Gouvernement n’a fourni aucune explication quant à ce qu’il est advenu d’eux après leur arrestation. Dans le contexte du conflit en Tchétchénie, le fait que des personnes soient détenues par des hommes armés non identifiés sans que leur détention soit jamais reconnue par la suite peut être considéré comme une menace à la vie. L’absence de Saïd-Magomed Debizov, d’Iznovr Serbiev et de Bekkhan Bargaïev et le fait que l’on soit resté sans nouvelles d’eux pendant plus de sept ans accrédite l’hypothèse de leur décès. Ils doivent donc être présumés décédés à la suite de leur détention non reconnue par des membres des services russes. Notant que les autorités n’ont pas justifié l’usage de la force militaire par leurs représentants, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 2 relativement à Saïd-Magomed Debizov, Iznovr Serbiev et Bekkhan Bargaïev.
La Cour conclut également, à l’unanimité, que le fait que les autorités russes n’aient pas mené une enquête effective sur les circonstances dans lesquelles les parents des requérants avaient été tués a constitué une autre violation de l’article 2.
La Cour considère en outre que les requérants ont été et restent dans une situation de détresse et d’angoisse du fait de la disparition de membres de leur famille et de leur incapacité à découvrir ce qu’il est advenu d’eux. L’accueil réservé à leurs griefs par les autorités doit être considéré comme un traitement inhumain contraire à l’article 3.
La Cour conclut encore que le fait que Saïd-Magomed Debizov, Iznovr Serbiev et Bekkhan Bargaïev aient été détenus sans que les autorités ne le reconnaissent et sans bénéficier d’aucune des garanties prévues par l’article 5 a constitué une violation particulièrement grave du droit à la liberté et à la sûreté consacré par cet article.
Enfin, la Cour conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 2, et qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 combiné avec les articles 3 et 5.
La Cour octroie à la mère de Saïd-Magomed Debizov et à la mère d’Iznovr Serbiev 8 000 EUR chacune pour préjudice matériel. En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour octroie 35 000 EUR à la mère de Saïd-Magomed Debizov, 35 000 EUR conjointement à la mère et au frère d’Iznovr Serbiev, et 35 000 EUR conjointement aux parents de Bekkhan Bargaïev. Pour les frais et dépens, les requérants se voient octroyer une somme de 9 150 EUR. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
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