Khadjialiev et autres – Magamadova et Iskhanova – Tsourova et autres – Chaipova et autres c. Russie
Le cas de la CEDH du Khadjialiev et autres – Magamadova et Iskhanova – Tsourova et autres – Chaipova et autres c. Russie (requête no. 3013/04, 33185/04, 29958/04, 10796/04).
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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
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6.11.2008
Communiqué du Greffier
Arrêts de chambre concernant
Khadjialiev et autres c. Russie (no 3013/04)
Magamadova et Iskhanova c. Russie (no 33185/04)
Tsourova et autres c. Russie (no 29958/04)
Chaïpova et autres c. Russie (no 10796/04)
Les requérants de la première affaire sont trois ressortissants russes : Salman Saïdovitch Khadjialiev et Alpaty Elikhanova, nés respectivement en 1932 et en 1937, le père et la mère de Ramzan et Rizvan Khadjialiev, nés en 1977 et 1979 ; et Magamed Ramzanovitch Khadjialiev, né en 2002, le fils de Ramzan Khadjialiev. Dans la nuit du 14 au 15 décembre 2002, Ramzan et Rizvan Khadjialiev furent enlevés au domicile familial, à Samachki (République tchétchène), par des hommes armés en treillis camouflage. Ils auraient été vus à bord de véhicules UAZ dans lesquels ils auraient été emmenés hors du village. Quatre jours plus tard, les corps des deux hommes furent trouvés près du village, décapités et démembrés. Les membres et les têtes des cadavres ne furent jamais retrouvés.
Les requérantes de la deuxième affaire sont deux ressortissantes russes : Louiza Abdoulbekovna Magamadova et Alpatou Didievna Iskhanova, nées respectivement en 1964 et en 1958. Elles résident à Mesker-Yourt (République tchétchène) et sont les épouses de Viskhadji Chataïévitch Magamadov, né en 1962, et Khasan Chakhtamirovitch Méjiev, né en 1963. Personne n’a revu les deux hommes depuis le 14 novembre 2002 à l’aube, date à laquelle ils furent enlevés par des hommes armés en treillis camouflage au domicile de la famille Magamadov et emmenés à bord de véhicules militaires blindés.
Les requérants de la troisième affaire sont quatre ressortissants russes : Issa Beksoultanovitch Tsourov, né en 1948 ; Aminat Tarkhanovna Tsourova, née en 1949 ; Leïla Issaïevna Tsourova, née en 1973 ; et Magomed Issaïévitch Tsourov, né en 1982. Ils résident en Ingouchie (Russie), et sont respectivement les parents, la sœur et le frère d’Ibragim Issaïévitch Tsourov, né en 1970. Ibragim Issaïévitch Tsourov, avocat de son état, était inscrit au barreau de la République tchétchène. Personne ne l’a revu depuis le 26 avril 2003, date à laquelle son véhicule fut arrêté par des hommes armés et des témoins virent qu’on l’emmenait dans le coffre d’une voiture.
Les requérants de la quatrième affaire sont cinq ressortissants russes : Tamara Dalievna Chaïpova, née en 1953 ; Yakhita Moussaïevna Chaïpova, née en 1974 ; Ramzan Akhmedovitch Chaïpov, né en 1995 ; Askhab Akhmedovitch Chaïpov, né en 1998 ; et Magomed Akhmedovitch Chaïpov, né en 2002. Tous résident à Ourous-Martan (République tchétchène). Ils sont respectivement la mère, la femme et les fils d’Akhmed Moussaïévitch Chaïpov, né en 1972, que personne n’a revu depuis la nuit du 8 au 9 avril 2003, date à laquelle il fut enlevé au domicile familial par des hommes armés en treillis camouflage.
Tous les requérants alléguaient que leurs proches avaient été enlevés et tués par des membres des forces russes et que les autorités internes, alertées par eux, n’avaient pas mené d’enquête effective à ce sujet. Ils invoquaient, notamment, les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 13 (droit à un recours effectif).
Dans l’affaire Khadjialiev et autres c. Russie, la Cour note que la police locale a reconnu avoir vu, dans la nuit du 14 au 15 décembre 2002, un groupe d’hommes armés qui se sont présentés comme des militaires de Grozny en opération spéciale. Il est peu probable que, comme l’a suggéré le Gouvernement, deux groupes différents d’hommes armés en treillis camouflage aient traversé le village de Samachki à bord de véhicules UAZ la même nuit.
Dans l’affaire Magamadova et Iskhanova, la Cour considère qu’il est peu probable qu’au moment des faits, comme l’a suggéré le Gouvernement, des groupes paramilitaires se déplaçant à bord de véhicules militaires blindés volés aient traversé sans encombre les différents postes de contrôle militaire russes et enlevé les maris des requérantes.
Dans l’affaire Tsourova et autres c. Russie, il ne fait pas controverse entre les parties qu’un groupe important d’hommes armés en uniforme a arrêté le véhicule d’Ibragim Tsourov à Grozny en plein jour. Le Gouvernement a même indiqué que trois témoins oculaires, membres aguerris des forces russes, avaient pensé qu’il s’agissait probablement d’une opération de police de routine. Les requérants ont également été informés par le ministère de l’Intérieur de la République d’Ingouchie que leur parent avait été arrêté par la police.
La Cour considère que ces éléments en particulier accréditent fortement l’allégation selon laquelle les cinq hommes ont été appréhendés par des membres des forces russes. Elle déduit du fait que le gouvernement russe ne lui a pas communiqué des documents qu’il était seul à détenir et ne lui a pas fourni d’autre explication plausible des événements en question, malgré les demandes qu’elle lui a adressées à cet effet, que les parents des requérants ont été enlevés par des membres des forces russes au cours d’opérations de sécurité non reconnues. Dans les affaires Magamadova et Iskhanova et Tsourova et autres c. Russie, il n’y a eu aucune nouvelle digne de foi des trois proches des requérants depuis leur disparition, et le gouvernement russe n’a fourni aucune autre explication. Dans le contexte du conflit en Tchétchénie, le fait qu’une personne ait été détenue par des militaires non identifiés sans que sa détention soit confirmée par la suite peut être qualifié de menace à la vie. L’absence des parents des requérants et le fait que l’on soit sans nouvelles d’eux depuis plus de cinq ans corrobore cette thèse. La Cour conclut donc que les trois hommes doivent être présumés morts consécutivement à leur détention non reconnue par des membres des forces russes. Dans l’affaire Khadjialiev et autres c. Russie, compte tenu de l’absence de tests ADN et du fait que les autorités se sont refusées à fournir une copie du rapport d’autopsie, la Cour estime établi que les restes découverts quatre jours après l’enlèvement étaient ceux des parents des requérants et que Ramzan et Rizvan Khadjialiev ont été enlevés et tués par des membres des forces russes. Notant que les autorités n’ont justifié l’usage de la force militaire par leurs agents dans aucune de ces trois affaires, elle conclut à la violation de l’article 2 relativement aux cinq parents des requérants.
Cependant, dans l’affaire Chaïpova et autres, la Cour note que les hommes armés qui ont enlevé le proche des requérants portaient des chaussures de sport, qui ne font normalement pas partie de l’uniforme réglementaire des membres des forces russes, et que les insignes de leurs uniformes étaient inconnus. Il n’a pas non plus été allégué que ces hommes utilisaient des véhicules militaires. La Cour juge donc que les requérants n’ont pas communiqué de preuves convaincantes de leurs allégations selon lesquelles des membres des forces russes étaient impliqués dans l’enlèvement de leur parent. Il n’a pas non plus été établi « au-delà de tout doute raisonnable » qu’Akhmed Chaïpov ait été tué par des agents de l’Etat. Dans ces circonstances, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 2 relativement au parent des requérants.
Dans les trois affaires, la Cour conclut que le fait que les autorités russes n’aient pas mené d’enquête pénale effective sur les circonstances dans lesquelles les parents des requérants avaient disparu et, dans l’affaire Khadjialiev et autres, été tués a constitué une violation de l’article 2.
En outre, dans les affaires Magamadova et Iskhanova et Tsourova et autres, la Cour considère que les requérants ont subi et subissent encore une situation de détresse et d’angoisse du fait de la disparition de leurs parents et de leur incapacité à découvrir ce qu’il est advenu d’eux. L’accueil réservé à leurs griefs par les autorités doit être considéré comme un traitement inhumain contraire à l’article 3. Dans l’affaire Khadjialiev et autres, la Cour note que les membres manquants des parents des requérants, y compris leurs têtes, n’ont toujours pas été retrouvés, de sorte que les requérants n’ont pas encore pu enterrer les dépouilles de leur proches convenablement, ce qui a dû être source pour eux d’une détresse et d’une angoisse profondes et continues, en violation de l’article 3.
La Cour conclut encore que les parents des requérants des trois premières affaires ont été détenus sans que les autorités ne le reconnaissent et sans bénéficier d’aucune des garanties prévues par l’article 5, ce qui a constitué une violation particulièrement grave du droit à la liberté et à la sûreté consacré par cet article.
Enfin, la Cour conclut à l’unanimité, pour les trois premières affaires, à la violation de l’article 13 relativement à la violation alléguée de l’article 2, et pour l’affaire Tsourova et autres, à l’absence de violation de l’article 13 relativement à la violation alléguée de l’article 3 à l’égard du parent des requérants.
Dans l’affaire Khadjialiev et autres, la Cour octroie aux parents de Ramzan et Rizvan Khadjialiev, conjointement, 3 000 EUR pour préjudice matériel et 50 000 EUR pour préjudice moral. Elle octroie en outre au fils de Ramzan Khadjialiev 1 500 EUR pour préjudice matériel et 20 000 EUR pour préjudice moral. Pour les frais et dépens, les requérants se voient octroyer 4 150 EUR.
Dans l’affaire Magamadova et Iskhanova, la Cour octroie à chaque requérant 3 000 EUR pour préjudice matériel, 35 000 EUR pour préjudice moral et 4 150 EUR, conjointement, pour frais et dépens.
Dans l’affaire Tsourova et autres, la Cour octroie aux parents d’Ibragim Tsourov, conjointement, 10 000 EUR pour préjudice matériel et 25 000 EUR pour préjudice moral. Elle octroie au frère et à la sœur d’Ibragim Tsourov 5 000 EUR chacun pour préjudice moral.
Dans l’affaire Chaïpova et autres, la Cour octroie aux requérants, conjointement, 6 000 EUR pour préjudice moral et 4 150 EUR pour frais et dépens.
(Les arrêts n’existent qu’en anglais.)
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