Mezhiyeva c. Russie
Le cas de la CEDH du Mezhiyeva c. Russie (requête no.44297/06).
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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
CEDH 129 (2015)
16.04.2015
Communiqué du Greffier
La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre dans l’affaire Mezhiyeva c. Russie (requête no.44297/06).
Absence d’enquête effective sur l’explosion mortelle d’une bombe en Tchétchénie en 2001
L’affaire Mezhiyeva c. Russie (requête no 44297/06), concerne l’explosion d’une bombe à Grozny (République de Tchétchénie, Russie) en 2001, lors de laquelle un conducteur de bus fut tué et son épouse (la requérante en l’affaire) grièvement blessée.
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour en l’affaire la Cour européenne des droits de l’homme conclut, à l’unanimité :
à la violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison de l’ineffectivité de l’enquête sur les événements ayant conduit au décès de l’époux de la requérante, et
à la non-violation de l’article 2 quant à l’allégation selon laquelle les autorités auraient failli à protéger la vie de la requérante et de son époux.
La Cour conclut en particulier que l’enquête laisse apparaître des retards excessifs et que Mme Mezhiyeva, qui était témoin et victime, n’a pas été suffisamment impliquée dans les investigations.
Principaux faits
La requérante, Kisa Mezhiyeva, est une ressortissante russe, née en 1961 et résidant à Grozny (République tchétchène, Russie).
Le 6 mars 2001, une bombe, placée sur un pont à Grozny, explosa sous le volant d’un autobus conduit par le mari de Mme Mezhiyeva. Celle-ci travaillait comme receveuse sur le même bus. Son mari, grièvement blessé par l’explosion, nécessitait des soins médicaux d’urgence. Toutefois, d’après la requérante, les militaires qui tenaient le point de contrôle situé sur le pont refusèrent de laisser quiconque s’approcher du bus et tirèrent des coups de feu sur le bus et en l’air. En conséquence, son mari n’aurait été conduit que 50 minutes après l’explosion à l’hôpital, où il décéda peu après son arrivée. Mme Mezhiyeva, qui avait des blessures à la tête, aux bras et aux jambes, fut également conduite à l’hôpital où on l’amputa d’un avant-bras. Elle n’apprit la mort de son mari qu’un mois plus tard, car ses proches, souhaitant lui épargner du chagrin tant qu’elle était en convalescence, lui dirent qu’il avait été hospitalisé dans une autre ville.
Le procureur de Grozny ouvrit une enquête préliminaire sur l’explosion le jour même. Les enquêteurs photographièrent les lieux et interrogèrent deux des militaires du point de contrôle. L’enquête fut suspendue deux mois plus tard. Elle fut rouverte en novembre 2003 à la suite d’une demande de Mme Mezhiyeva. Celle-ci fut alors interrogée et se vit accorder la qualité de victime. Elle subit un examen médical et l’épave du bus fut expertisée. L’enquête fut ensuite suspendue puis rouverte à plusieurs reprises. N’ayant plus reçu aucune information après son interrogatoire en 2003, la requérante prit contact avec le parquet en mai 2006 et demanda à étudier le dossier. Elle put alors voir plusieurs documents et photos des lieux de l’explosion mais ne fut pas autorisée à faire des photocopies ni n’eut accès aux enregistrements des dépositions des témoins et d’autres mesures procédurales. L’enquête était toujours pendante en juin 2011.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant en particulier l’article 2 (droit à la vie), Mme Mezhiyeva se plaignait que les autorités n’avaient pas protégé sa vie et celle de son mari et dénonçait l’ineffectivité de l’enquête sur l’explosion.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 15 septembre 2006.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Mark Villiger (Liechtenstein), président,
Angelika Nußberger (Allemagne),
Boštjan M. Zupančič (Slovénie),
André Potocki (France),
Helena Jäderblom (Suède),
Aleš Pejchal (République Tchèque),
Dmitry Dedov (Russie),
ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.
Décision de la Cour
Article 2
La Cour relève que les autorités russes ont respecté leur obligation d’ouvrir une enquête à bref délai, puisque les investigations ont commencé le jour même de l’explosion. Toutefois, il y a eu par la suite des retards excessifs. La durée de l’enquête (plus de dix ans) ne saurait être considérée comme adéquate au vu des circonstances de l’espèce, et des périodes d’inactivité totale apparaissent au cours de l’enquête.
De plus, Mme Mezhiyeva n’a pas été suffisamment impliquée dans l’enquête pour pouvoir défendre ses intérêts légitimes. Alors qu’elle était témoin dans l’affaire, elle n’a pas été convoquée par le parquet pour être interrogée ni n’a été tenue au courant des mesures d’enquête pendant plus d’un an à compter du début de l’enquête. En fait, elle a dû présenter une demande pour être informée des progrès de l’enquête. Étant donné que plus de deux ans après son interrogatoire elle n’avait aucune information à ce sujet, elle a dû prendre de nouveau l’initiative de demander à étudier le dossier de l’affaire, et n’a reçu alors que des informations limitées. Partant, il n’y a pas eu un degré suffisant de contrôle du public en l’espèce.
Ces considérations suffisent à la Cour pour conclure que l’enquête sur les événements en cause a été ineffective. Elle n’était pas de nature à établir les circonstances entourant l’explosion et l’identité de l’auteur ou des auteurs de celle-ci. Dès lors, il y a eu violation de l’article 2 en raison de l’ineffectivité de l’enquête.
En même temps, eu égard à l’ineffectivité de l’enquête, la Cour estime qu’il n’y a pas de base factuelle suffisante pour lui permettre de conclure que les autorités russes étaient responsables de l’incident à l’origine du décès du mari de Mme Mezhiyeva et des blessures graves de celle-ci, ou que la requérante et son époux n’ont pas disposé de l’aide nécessaire dans un délai assez rapide après l’explosion.
En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 2 quant à l’allégation selon laquelle les autorités auraient failli à protéger la vie de la requérante et de son époux.
Satisfaction équitable (Article 41)
La Cour dit que la Russie doit verser à la requérante 30 000 euros (EUR) pour dommage moral, et 3 000 EUR pour frais et dépens.
L’arrêt n’existe qu’en anglais.
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